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Isolation thermique des bâtiments : un vent de fraicheur dans l'air ?

16 : c’est l’ordre de différence d’émission entre un logement bien ou mal isolé.


Avec l’augmentation du prix de l’électricité de presque 10% au 1er février 2024, les questions de consommation énergétique sont un sujet brûlant pour les Français, notamment pendant les périodes hivernales. Quel serait alors l’impact de la rénovation massive de nos bâtiments sur la consommation des Français ?


20% des émissions de gaz à effet de serre en France proviennent des secteurs résidentiels et tertiaires. Cela représente 63 000 000 tCO2éq consommées chaque année dans le pays.[1] En continuant à émettre sur cette base, les objectifs des accords de Paris de limiter le réchauffement sous les deux degrés seront inatteignables.[2] Comment drastiquement réduire ce chiffre ? L’isolation des bâtiments.


LE PARC IMMOBILIER ACTUEL EN FRANCE

Figure 1 : Classe énergétique[3]


Au sein de ce parc immobilier en 2022, près de 17% – soit 5 millions de logements – sont considérés comme des passoires énergétiques, correspondant aux classes F et G.[4]

Émissions d’une passoire énergétique : minimum 330 kWh/m2.an soit 70 kgCO2éq/m2.an, ce qui représente près de 6,4 tCO2éq/an pour un logement moyen de 91m2.


Figure 2 : Comparateur carbone de l’ADEME[5]


Les logements de classe A et B, qui représentent seulement 5% des logements, sont majoritairement les nouveaux bâtiments construits après 2013, tandis que deux tiers des logements D, E et F ont été construits avant 1948.


Par ailleurs, en réaction à la crise énergétique de 2022, l’État français a recommandé une température moyenne des chauffages à 19°C dans les logements. Cette consigne, associée à la hausse des prix, a logiquement fait diminuer la température des logements. Les Français ont alors en moyenne fait passer la température de leur logement de 21,1°C à 20,2°C entre les fins d’années 2021 et 2022.[6] Le facteur économique est toujours un moyen déterminant pour modifier les habitudes. Pour autant, dans la perspective d’un changement durable, il faut traiter le problème à la racine. Pouvoir consommer moins sans perdre en qualité de vie, via l’isolation.


LA SUEDE : UN EXEMPLE A SUIVRE ?


Après le choc pétrolier de 1973, la question de la consommation énergétique s’est imposée si bien au niveau politique qu’au niveau des ménages français. Ainsi, se sont succédées différentes réglementations thermiques entre 1974 et aujourd’hui. Les nouveaux bâtiments consomment maintenant en moyenne 50 kWh/m2.an. La consommation moyenne globale du parc immobilier est ainsi passée de 300 kWh/m2.an en 1973 à 159 kWh/m2.an (moyenne des consommations en 2022), soit une réduction de 53%.[7]


À partir de la même période, le gouvernement suédois a décidé d’appliquer des lois drastiques sur l’isolation thermique et les méthodes de chauffage. En effet, le gouvernement a imposé l’interdiction d’utiliser du fioul ou du gaz pour le remplacer par des poêles à bois ou des pompes à chaleur. En parallèle, les réglementations en termes d’isolation ont été accompagnées d’aides que ce soit au niveau local ou national. Ainsi, les plafonds et sols sont fortement isolés et le triple vitrage s’impose sur l’ensemble des surfaces vitrées des maisons suédoises. L’une des règles les plus marquantes reste la destruction des nouveaux bâtiments ne respectant pas les règles mises en place.[8] Toutes ces mesures ont participé à l’importante réduction des émissions de dioxyde de carbone depuis 30 ans. Cette réduction de l’ordre de 90% n’est certes pas seulement expliquée par cette isolation de qualité, mais l’effet de l’isolation est indéniable. Les logements suédois ont une émission de CO2 liée au chauffage de seulement 0,3 kgCO2/m2.an contre 18,6 kgCO2/m2.an en France en 2017. Cette différence est à mettre en perspective avec le climat suédois qui est assurément plus froid qu’en France. L’efficacité énergétique des logements suédois est incomparable à ce qui est fait en France. Pour autant, il n’est pas nécessaire d’atteindre la qualité d’isolation suédoise étant donné que la majorité du climat français est bien plus doux. Il faut ainsi améliorer l’isolation proportionnellement aux besoins de chaque territoire. Différentes mesures peuvent être mises en place et ceux notamment à travers des lois. Les changements qui y sont joint permettraient une refonte de la conception des habitations, tout du moins en France.


PRIX DE LA CONSOMMATION EN FRANCE


Certes, isoler un bien a un coût économique mais cet investissement est amorti dans le temps grâce à une facture énergétique réduite. Au prix actuel du kWh moyen, un propriétaire économiserait au moins 2 500€ par an dans un logement de 91m2 si celui-ci passait d’une classe G à un logement de classe A.


En effet, en un an un bâtiment de classe A consomme environ 35 kWh/m2.an alors qu’un bâtiment de classe G consomme environ 450 kWh/m2.an. Ainsi, à l’année, cela correspond respectivement à des consommations de 3 185 kWh et 40 950 kWh. En considérant alors les trois moyens de chauffage principaux en France (électricité, fioul et gaz) et le fait qu’en moyenne 64,4% de la consommation d’un logement est due au chauffage, à la ventilation et à la climatisation : [9] [10]


Figure 3 : Comparaison des économies financières annuelles


Dans les faits, il est difficile de réaliser la transition d’un extrême à l’autre, mais une amélioration de quatre classes est envisageable. Cela représenterait alors une économie comprise entre 1 500 € et 3 000 € par an selon les changements de classe et les moyens de chauffage. Ces économies permettraient alors d’amortir l’investissement initial en quelques années.

En reprenant les valeurs précédentes, il est alors possible de mesurer les économies chaque année en termes d’émission de gaz à effet de serre.[11]


Figure 4 : Comparaison des consommations énergétiques annuelles


Les économies en termes de consommation d’énergie sont considérables. Lorsqu’un bâtiment passe d’une catégorie G à une catégorie D, les économies sont au moins supérieures à 2 tCO2éq par an.


Au-delà d’être des gouffres financiers en hiver avec le chauffage et en été avec la climatisation, ces logements peuvent être dangereux pour les populations fragiles (personnes âgées et en bas âge face aux températures extrêmes) et le seront de plus en plus avec l’avancée du dérèglement climatique et l’accentuation des épisodes de températures exceptionnelles.


ACCOMPAGNER LA RENOVATION


Cette problématique devient alors un sujet non seulement environnemental mais aussi sanitaire. C’est pourquoi l’État français a décidé de mettre en place des aides pour rénover les logements, comme la démarche MaPrimRénov’ ou des prêts à taux zéro pour réaliser ces travaux de rénovation.[12] L’État prévoit d’aider à rénover 200 000 logements par an à partir 2024. Ce chiffre soulève une problématique vis-à-vis du budget alloué à cette tâche titanesque ainsi que les moyens de distribuer cet argent. En effet, comment s’assurer que les rénovations soient de qualité et durables ? Affaire à suivre.


Néanmoins, il est à espérer que ces aides permettront une réelle refonte du parc immobilier français. Avec un prix compris entre 18 000 € et 40 000 € pour une isolation thermique d’une maison de 91 m2 (surface moyenne d’un logement en France), tous les Français ne peuvent pas se permettre de réaliser de tels travaux (cf : Figures 3 et 4). Ces aides, échelonnées en fonction des revenus des foyers, peuvent monter jusqu’à 11 000 €.


SOLUTIONS


Sur le marché actuel de l’isolation des bâtiments, il existe principalement trois méthodes :


  • L’isolation Thermique Intérieur (ITI)

  • L’isolation Thermique Extérieur (ITE)

  • L’isolation Thermique Répartie (ITR)

La première (ITI) est la plus simple : on rajoute une couche d’isolant sur la face intérieure des murs et sous le toit. Elle est considérée comme étant la plus simple bien qu’elle réduise la surface vivable.


La seconde (ITE) permet d’isoler en rajoutant le matériau isolant sur la façade extérieure du bâtiment. L’inconvénient de cette méthode est qu’il est nécessaire d’avoir une autorisation pour réaliser les travaux puisque l’extérieur de la maison est modifié.


La dernière (ITR) quant à elle est spécifique aux nouveaux bâtiments. En effet, on choisira lors de la construction des murs un matériau isolant comme des briques ou certains parpaings isolants. Chacune de ces isolations présente ses avantages et ses inconvénients. Il faut donc prendre en compte l’environnement (surface, humidité, température, ensoleillement, etc.) et le budget pour la réalisation de ces travaux.[13]


Quelle que soit la méthode retenue pour isoler son logement, il existe différents matériaux avec des capacités d’isolations spécifiques. Pour s’y retrouver dans cette myriade, on retrouve deux coefficients principaux qui permettent de classer les isolants selon leur capacité d’isolation.


  • Le coefficient lambda λ représente la conductivité thermique d’un matériau (en W/m.K). Il exprime la capacité d’un matériau à conduire la chaleur. Plus ce coefficient est faible, plus le matériau est isolant.

  • L’épaisseur e, qui est tout simplement l’épaisseur d’isolant choisi dans l’installation.

En général, lors de l’achat d’un isolant, d’autres informations sont disponibles, comme la résistance thermique R (en m2.K/W). Elle quantifie la résistance d’un matériau à isoler un flux de chaleur. Son équation est la suivante :


R= e/ λ


Il existe aussi le coefficient U, appelé coefficient de transmission thermique. C’est l’inverse de la résistance thermique R – il s’exprime en W/m2.K. Ainsi, il quantifie à quel point un isolant laisse de la chaleur passer. Il peut être utile dans des zones à grande variation de température. En effet, selon l’environnement dans lequel le logement se situe, différentes caractéristiques seront demandées.


À résistances thermiques R ou transmissions thermiques U différentes, deux matériaux nécessiteront des épaisseurs différentes pour obtenir les mêmes performances.


Cependant, d’autres coefficients existent, comme l’inertie thermique et l’effusivité qui permettent de caractériser une notion de confort d’un bâtiment. Ces derniers décrivent comment les températures à l’intérieur évoluent en fonction des variations de températures extérieures. Il existe aussi les coefficients pare-pluie et pare-vapeur qui décrivent l’étanchéité d’un matériau. Il va être particulièrement pertinent d’analyser ces valeurs dans un environnement humide.


Pour répondre aux différents besoins, il existe trois grandes catégories d’isolant :[14]


  • Les isolants minéraux (laine de verre, laine de roche, etc.)

  • Les isolants naturels (paille, chanvre, fibre de bois, laine de mouton, plumes, etc.)

  • Les isolants synthétiques (polystyrène, polyuréthane, divers mousses expansés, etc.)

En parallèle, de nouvelles solutions ont vu le jour. Ces dernières sont regroupées dans deux nouvelles catégories (mais qui ne sont réellement que des sous-catégories des trois précédentes).


  • Les isolants recyclés (ouate de cellulose, fibre textile recyclée, etc.)

  • Les isolants new gen (aérogel, panneau isolant sous vide, etc.


Figure 5 : Coefficient de conductivité thermique des différents types d’isolant[15]


Plus ce coefficient est faible, meilleur sera l’isolant. Il en faudra donc une épaisseur plus faible, mais l’efficacité de ces isolants est généralement inhérente à son coût. De plus, certains isolants seront meilleurs pour un type précis d’isolation thermique (intérieure, extérieure ou répartie). Il faut alors trouver le compromis entre budget, efficacité d’isolation, facilité d’installation, zone climatique et impact environnemental.


LE SOMMET DE L’ART : LES CONSTRUCTIONS PASSIVES


Le principe premier des constructions passives est qu’il n’est pas nécessaire de les chauffer tout au long de l’année – leur seule conception le permet. Ce concept a été développé dans les années 70 en Allemagne par le Pr. Bo Adamson et le Dr. Wolfgang Feist qui créèrent par la suite le Passivhausinstitut.[16] Une construction passive est chauffée à 60% par le soleil et à 40% par la chaleur corporelle des habitants, la chaleur émise par la cuisine, les appareils électroménagers ou toute autre source de chaleur découlant de l’utilisation d’un objet du bâtiment.[17] Pour atteindre ces résultats, plusieurs méthodes sont utilisées. Les murs sont extrêmement isolants, pouvant combiner plusieurs couches d’isolants. Les fenêtres sont en triple vitrage et orientées majoritairement vers le sud – ce type de constructions sont étanches à l’air qui est à la fois le meilleur isolant lorsqu’il est confiné et sec (principe de fonctionnement d’une doudoune), mais aussi la plus grande source de déperdition de chaleur (courants d’air). Ces constructions sont tout aussi agréables en période estivale grâce à des systèmes performants de ventilation comme la ventilation double flux. Cette dernière a pour avantage de recycler l’air vicié, de participer au chauffage en hiver et de refroidir la maison en été.[18] Tous ces principes combinés permettent aux maisons passives une efficacité énergétique incomparable en comparaison à un bâtiment traditionnel. Elles sont considérées par certains comme le Graal de l’isolation. Ces constructions passives, lorsqu’elles sont couplées à des moyens de production décarbonés comme l’éolien, le solaire ou la géothermie, permettent même d’avoir des constructions à consommation positive. Elles produisent plus qu’elles ne consomment et n'émettent presque pas de CO2.


Toutes les installations abordées dans ce paragraphe correspondent au modèle de maison passive inventé dans les années 70. Ce modèle prend en compte les caractéristiques climatiques de Darmstadt, berceau du concept des maisons de passives de Bo Adamson et Wolfgang Feist. Aujourd’hui, l’idée d’une maison passive peut évoluer. En effet, avec le réchauffement climatique, il est essentiel pour l’ensemble des habitations de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Cependant, selon les contextes climatiques, il n’est pas nécessairement judicieux de conserver toutes les innovations de la maison passive initiale. L’isolation, l’étanchéité, le chauffage, grâce à la vie dans la maison, sont toutefois des éléments à conserver. Néanmoins, dans un pays très chaud, l’utilisation du triple vitrage orienté vers le sud n’est pas nécessaire – ce serait même contre-productif. De plus, en utilisant moins de matériaux pendant la construction, l’empreinte du bâtiment serait plus faible. C’est l’idée d’avoir un bâtiment neutre durant son utilisation qui doit être conservée, adaptée et appliquée de manière générale.


EST-CE SUFFISANT ?


Le projet de rénovation des bâtiments possède plusieurs avantages. En effet, en faisant grossir cette filière du bâtiment, on assiste à une création d’emplois non seulement pour réaliser les travaux mais aussi dans le contrôle de ces derniers afin de s’assurer de leur bonne réalisation.


De plus, en réduisant la consommation d’énergie des foyers, on réduit leurs dépenses. Ce faisant, une augmentation du pouvoir d’achat peut permettre de redynamiser d’autres secteurs.


Pour finir, les économies d’émissions de gaz à effet de serre possibles en rénovant l’entièreté du parc français, avec une emphase sur les passoires thermiques, peuvent être considérables si les rénovations sont bien exécutées. Pour que l’impact soit notable, il faut que cette rénovation soit réalisée rapidement, nécessitant impérativement une implication de l’État pour structurer, planifier et financer cette entreprise titanesque. Les échéances sont courtes. Il s’agirait ainsi d’une avancée majeure, même si elle ne reste qu’une partie de l’équation.

 

La rénovation énergétique des passoires est une question qui devrait s'imposer à tout le monde comme une urgence. C'est une question de santé, de climat, de confort et d’indépendance énergétique. Pour des milliers de personnes chaque année, en hiver comme en été, c’est même une question de vie ou de mort.

Manuel Domergue, Directeur des études de la Fondation Abbé Pierre


Ruben SURENA,
Consultant TOROW
SOURCES

[2] Pour maintenir le réchauffement climatique sous les deux degrés, il faut réduire nos émissions à 2t CO2éq par personne par an. Aujourd’hui, les émissions se situent aux alentours de 10t CO2éq par personne par an pour un Français moyen.

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